Dans ce dossier, j’ai assisté un couple de locataires confrontés depuis des années à un logement manifestement indécent : humidité persistante, infiltrations, traces de moisissures, ventilation défaillante, suspicion de présence de plomb dans les revêtements, et un garage inexploitable en pratique malgré sa mention au bail.
Malgré les alertes, les constats d’huissier, un rapport d’expertise judiciaire et un rapport récent de la direction de l’urbanisme concluant au caractère indécent du logement, la bailleresse persistait à minimiser la situation, en renvoyant la responsabilité sur les locataires et en contestant sa propre obligation de délivrer un logement décent.La procédure a été engagée devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence.
La bailleresse a d’abord tenté de faire échec aux demandes en soulevant une fin de non-recevoir tirée de la prescription, en soutenant que les griefs étaient anciens et que les demandes indemnitaires étaient tardives. Le juge a rejeté cet argument et retenu l’application de la prescription quinquennale pour ce bail conclu avant 2014, ce qui permettait de prendre en compte plusieurs années de manquements.
Sur le fond, il s’est appuyé sur l’expertise judiciaire, les constats d’huissier et le rapport récent de la commune des Pennes-Mirabeau pour caractériser une indécence persistante du logement, imputable au bailleur : défaut de ventilation conforme, désordres d’humidité et d’infiltrations non traités, surfaces dégradées, présence de plomb au-delà des seuils admis selon un constat récent, ainsi qu’un garage dont le système de fermeture ne permettait plus la jouissance normale lorsque le véhicule était stationné à l’intérieur.
Le jugement impose à la bailleresse un véritable plan de remise en conformité, sous la forme d’obligations de faire précisément définies et encadrées dans le temps.
Elle est condamnée à réaliser, dans un délai de quatre mois, l’ensemble des travaux nécessaires pour rendre le logement conforme aux règles d’hygiène et de sécurité : mise en conformité des revêtements contenant du plomb, recherche et suppression durable des causes d’humidité et d’infiltrations, isolation de la salle de bains, reprise des surfaces dégradées, vérification et, le cas échéant, mise en place d’une ventilation efficace conforme à l’arrêté du 24 mars 1982 sur l’aération des logements.
Ces obligations sont assorties d’une astreinte de 50 euros par jour de retard jusqu’à production d’un constat d’huissier et d’un diagnostic plomb conformes aux normes.
La propriétaire est également condamnée à rétablir une fermeture fonctionnelle de la porte de garage, afin que les locataires puissent enfin en jouir conformément au contrat.
Sur le volet indemnitaire, le juge retient un préjudice de jouissance de 5 000 euros, compte tenu de la durée anormalement longue pendant laquelle le couple a dû vivre dans un logement humide, mal ventilé, partiellement dégradé, avec un garage inutilisable en pratique.
Il accorde également 3 000 euros au titre du préjudice moral, en tenant compte de l’impact de cette situation sur la vie familiale, de la répétition de pathologies respiratoires chez les enfants dans un environnement humide et de la charge psychologique de plusieurs années de démarches, de constats et de procédure.
Sur l’aspect financier pur, la bailleresse est condamnée à rembourser 351,36 euros au titre du trop-perçu lié à l’indexation pratiquée sur un logement classé F après l’entrée en vigueur du gel des loyers pour ces catégories de biens.
Elle est en outre tenue de délivrer les quittances de loyer rectifiées depuis 2014, sous astreinte hebdomadaire, ce qui permet aux locataires de reconstituer leurs droits et de sécuriser leur situation vis-à-vis des organismes sociaux.
Toutes les demandes reconventionnelles de la propriétaire sont rejetées.
Ni l’accusation de retards systématiques de paiement, ni l’argument d’un prétendu abus du droit d’agir ne sont retenus. Le tribunal constate au contraire que les locataires étaient légitimes à saisir la justice pour faire respecter des droits élémentaires attachés à la décence du logement.
La bailleresse est condamnée aux dépens, y compris les frais d’expertise judiciaire et de constats, ainsi qu’à 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ce jugement illustre concrètement la portée de l’obligation de délivrance d’un logement décent et l’arsenal dont disposent les locataires pour obtenir la mise en conformité d’un bien lorsque le bailleur reste inactif.
Il rappelle aussi la réalité humaine de ce contentieux : pour les occupants, faire reconnaître l’indécence d’un logement suppose de supporter, pendant des années, un environnement dégradé, de multiplier les démarches techniques et judiciaires et d’attendre la décision du juge avant de voir enfin imposées des mesures concrètes au propriétaire.